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Biographie

  • Date de naissance

    7 Septembre 1961 (âge 62)

  • Lieu de naissance

    Lyon, Rhône, Auvergne-Rhône-Alpes, France

Qu'est-ce qu'un artiste pour vous ?
— Quelqu'un qui a un don pour offrir des émotions au public et l'ouvrir à un autre monde. Sans public, un artiste n'existe pas. L'avion a changé la vie du pianiste concertiste. Autrefois, Rubinstein passait trois mois en Amérique du Sud avant de reprendre le bateau. Aujourd'hui, nous sommes un jour à Tokyo, le lendemain à Berlin. Ce qui a changé également, c'est la médiatisation. Michelangeli pouvait fuir les journalistes. Aujourd'hui, on ne peut plus se cacher. Le public, surtout le public jeune, a besoin de connaître l'être humain derrière l'artiste. Le bon côté des choses, c'est que la musique classique est plus accessible. Pour certains musiciens, c'est difficile et je peux le comprendre, mais ça n'enlève pas le côté magique. On descend de notre piédestal tout en gardant nos secrets.

Vous souvenez-vous de votre premier contact avec le piano ?
— Non. On me l'a raconté. Il paraît qu'à trois ans et demi, je restais des heures devant le piano droit de la maison. Au lieu de taper dessus comme font les enfants, je cherchais à émettre de jolis sons, je chantais. Papa a invité à déjeuner l'un de ses amis qui était le directeur du conservatoire pour qu'il m'entende, et à cinq ans, je suis entré dans une classe à Lyon qui s'appelait "L'éveil de la musique", tenue par une femme extraordinaire. J'ai toujours adoré mes professeurs. C'est peut- être ennuyeux, mon histoire… À six ans, j'ai commencé à travailler chez Geneviève Coingt, qui était merveilleuse. J'attendais le mardi après-midi avec impatience. Ensuite, j'ai connu Suzy Bossard, qui a été le professeur de Pierre-Laurent Aimard, de Florent Boffard, de Roger Muraro, et qui était plus sévère. Quand j'ai eu dix ans, elle a estimé qu'il fallait que je voie un professeur à Paris et elle m'a envoyé chez Lucette Descaves. Ma mère m'accompagnait donc chaque mois dans sa maison à Boulogne. On prenait le "Mistral", le voyage en train durait cinq heures à l'époque. Lucette Descaves était une vraie légende. Elle avait travaillé avec Ravel étant jeune et fut également très proche de Prokofiev et Jolivet. Beaucoup la craignaient car elle avait ses têtes. Moi, elle m'adorait. C'était comme une grand-mère pour moi.

Quand elle a pris sa retraite au Conservatoire, vous êtes entré dans la classe de Reine Gianoli ?
— Oui, elle m'a ouvert au grand répertoire allemand. Comme ma mère est allemande, j'avais l'impression de retrouver mes racines. Elle jouait Schumann, Brahms, Mendelssohn avec un son magnifique. Elle m'a fait adorer Bach, que je détestais enfant. À Lyon, ses fugues me semblaient rébarbatives. Avec elle, je découvrais un compositeur romantique ! Quand elle est tombée malade, elle a décidé de me confier à Aldo Ciccolini. "Mais tu vas bientôt revenir, Reine", lui a dit Aldo. "Non, je ne reviendrai pas", a-t-elle répondu. Elle se savait condamnée. Je suis entré dans la classe d'Aldo Ciccolini à seize ans. J'avais une admiration folle pour lui, il prenait le temps de me donner des leçons. Il m'a demandé de l'appeler Aldo et de le tutoyer. Au début, j'ai eu du mal. Il me traitait toujours en collègue, jamais en élève. Quand il partait en tournée, il me demandait avec qui je voulais travailler. J'allais voir Sancan, Rouvier, Yankoff, Loriod, tout le monde ! J'ai adoré les cours avec Jean Hubeau qui m'a fait aimer la musique de chambre. J'ai aussi joué pour Pierre Barbizet à Marseille et pour Gaby Casadesus, qui me recevait chez elle rue Vaneau à Paris. C'était la fin d'une grande époque que j'ai eu la chance de connaître.

Avez-vous eu une enfance heureuse ?
— Très heureuse. Ma mère me donnait beaucoup de son temps. J'étais petit et rond, avec de grosses lunettes, comme un têtard à hublots, avec un énorme noeud papillon. J'ai grandi d'un coup à quinze ans. Tout m'a semblé très naturel. J'ai gagné mes premiers concours à seize ou dix-sept ans et je n'ai pas été une star à douze ans avec deux cents concerts à la clé comme Kissin. J'ai attendu plus de dix ans pour signer un contrat avec une grande maison de disques, même si j'étais impatient et que je voulais avoir tout très vite.

Comment avez-vous vécu la mort de votre père ?
— J'avais dix-neuf ans, je venais de remporter le concours de Tokyo. Maman était là. C'était un 2 décembre et nous avons appelé papa pour lui annoncer la bonne nouvelle. Le 5, il est mort d'une crise cardiaque. Il était agrégé d'histoire et géographie, puis fut diplomate en Roumanie pendant la guerre et a eu une longue carrière politique à Lyon où il était adjoint au maire. Il était âgé et avait presque soixante ans quand je suis né. Ma mère est rentrée aussitôt à Lyon, mais je suis resté au Japon parce que Lili Kraus venait d'annuler son concert avec l'Orchestre de la NHK et l'on m'a proposé de jouer le Concerto n° 5 de Beethoven à sa place. On s'est demandé si je devais accepter ou non, mais ma mère m'a dit que mon père aurait souhaité que je reste. Je suis rentré pour l'enterrement et je me suis toujours senti coupable de cela. J'ai mis du temps à comprendre qu'il était mort. Longtemps, en travaillant au piano du salon, je me suis retourné brusquement vers le fauteuil où il avait l'habitude de se reposer, m'attendant à le voir là, à m'écouter.

Pourquoi vous êtes-vous installé aux États-Unis ?
— J'ai remporté un concours à New York à dix-neuf ans et je m'y suis senti très à l'aise. Petit à petit, ma carrière s'est développée aux États- Unis. J'y jouais sept mois par an alors que je n'avais aucun concert en France. À vingt-quatre ans, j'ai donc déménagé à New York. La ville me fascinait. Plus tard, je suis allé donner un récital à Los Angeles et je m'y suis senti chez moi. Mon père m'avait souvent parlé de cette impression de déjà-vu. Los Angeles, ce n'est pas seulement Hollywood. C'est la ville où ont vécu Stravinsky, Rachmaninov, Korngold, Heifetz, Piatigorski, Rubinstein… Aujourd'hui, même le New York Times reconnaît que la musique s'est déplacée de la côte Est à la côte Ouest. Previn, Giulini et Salonen y ont produit un travail formidable. Le Walt Disney Hall est devenu l'emblème de la ville, comme l'Opéra à Sydney. Gustavo Dudamel est en train de faire des miracles là-bas. Avec ses idées, son énergie, son charisme, il change les mentalités en profondeur. Et il y a Placido Domingo à l'Opéra. Les Américains m'ont toujours fait sentir qu'ils étaient fiers que j'aie choisi de vivre chez eux. Le Hollywod Bowl, qui accueille de grands concerts en plein air entre juin et septembre, vient de me nommer dans son "Hall of Fame". C'est un très grand honneur, rarement offert à un musicien classique.

Charles Aznavour dit que la France est le seul pays au monde qui se fiche que ses artistes réussissent à l'étranger. Avez-vous senti un désamour ici et en avez-vous souffert ?
— Au début, je ne voulais pas le reconnaître mais j'en ai souffert. Le public m'a toujours réservé un accueil très chaleureux, mais une partie de la critique m'a battu froid et l'on ne m'a guère invité à jouer, à part quelques endroits fidèles comme l'Orchestre national de Lyon ou l'Orchestre national de France, grâce à Charles Dutoit. J'étais allé entendre l'Orchestre de Lyon à New York alors qu'il effectuait une tournée aux États-Unis. J'étais fier d'applaudir l'orchestre de ma ville natale. À la fin du concert, je suis allé féliciter Emmanuel Krivine, que je ne connaissais pas et qui m'a demandé l'adresse de mon tailleur. Il m'a invité à venir jouer la saison suivante et la fidélité de l'orchestre ne s'est jamais rompue.

En France, "on vous pardonne parfois d'avoir réussi, jamais d'avoir l'air heureux", chantait Yvonne Printemps.
— Oui. Aux États-Unis, les gens vous admirent si vous avez réussi en étant parti de rien. Il n'y a aucune mesquinerie. En France, on se dit que vous avez forcément triché. Je n'ai jamais joué en récital à La Roque-d'Anthéron, par exemple. Juste quelques minutes il y a vingt-cinq ans avec d'autres lauréats de concours, et avec un orchestre australien en tournée il y a deux ans. J'ai eu un plaisir fou à faire la connaissance de René Martin pour qui j'ai une grande admiration, mais le milieu du piano en France me semble souvent "petit" et étrange. Les seuls pianistes avec qui j'ai gardé un contact sont Jean-Marc Luisada et Philippe Cassard. Aux États-Unis, avec Emanuel Ax, Yefim Bronfman, André Watts ou Murray Perahia, on va s'écouter les uns les autres et on se réjouit de nos succès mutuels. Peut-être que mon succès agaçait. On croyait que je faisais ma diva. Je ne sais pas. Du côté du public, je ressens plutôt du respect et de la tristesse de ne pas m'entendre assez souvent.

Où vous entendre en France ?
— La saison prochaine, avec l'Orchestre national de France, je jouerai le Concerto n° 5 de Saint-Saëns, qu'Aldo Ciccolini m'a fait découvrir et que je n'ai jamais joué à Paris. L'Orchestre de Paris m'a également invité et j'ai proposé le Concerto de Khatchaturian, une œuvre que j'aime depuis que Charles Dutoit me l'a fait connaître. Elle a sa place à côté des concertos de Rachmaninov, on ne l'entend jamais alors que le public l'adore. Je rêverais de l'enregistrer car à part le disque historique de William Kapell et celui d'Alicia de Larrocha qu'on ne trouve plus, il est très rare. J'ai aussi des engagements à Lyon, Monte-Carlo, Toulouse, Dijon et Strasbourg. Et je suis très heureux de jouer en 2011 avec Gautier Capuçon au Théâtre des Champs-Élysées. La musique de chambre et l'accompagnement de chanteurs font partie de ce que j'aime le plus au monde.

Vous publiez un disque Gershwin. Enfin !
— Oui, c'est un projet auquel je pense depuis quinze ans. Je suis toujours touché et fier quand on me propose de jouer le Concerto en fa ou la Rhapsody in blue, à moi qui suis français, lors de cérémonies officielles aux États-Unis. Je suis heureux d'avoir pu le faire avec l'Orchestre de Baltimore dans la version jazz écrite par Gershwin (et Ferde Grofé) pour Paul Whiteman et son big band. Les partitions du concerto n'existaient plus, il a fallu se procurer les manuscrits originaux auprès de la famille. Cela ajoute quelque chose de différent, un rythme plus anguleux. On se sent transporté dans l'entre-deux-guerres, quand la vie était belle, et cela donne un sourire aux lèvres.

D'où vous vient cette "star quality" dont parlent les Américains ?
— C'est au-delà du talent. Certains artistes entrent sur scène et il se passe déjà quelque chose. Avec d'autres, on ne ressent rien. Je pense que cela vient de mon père, qui serait devenu acteur sans l'opposition de sa famille. Il avait fait le conservatoire avec Edwige Feuillère, qui était ma marraine. Dès qu'il entrait dans une salle, on ne voyait plus que lui. Il faisait rire tout le monde. J'ai hérité de lui une attitude positive. Je suis heureux de faire ce que j'aime le plus au monde et d'être payé pour cela. Je vois toujours le bon côté des choses : une salle à moitié pleine et pas à moitié vide. Et puis j'aime les gens. Je n'aime pas critiquer et j'essaie toujours de voir ce qu'il y a de bon en chacun.

Vous arrive-t-il d'être déprimé ?
— Comme tout le monde. Dans ces moments-là, je reste seul et je garde mes problèmes pour moi. La plupart du temps, je suis très sociable, mais certaines fois, je préférerais commander un room service devant la télévision plutôt que d'être invité à dîner. Bien que je pense que je finirais par descendre au bar pour parler avec quelqu'un.

Entretien avec Olivier Bellamy

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